Anaïs Boudot
Fêlures
L’image nous fait signe d’abord par le craquèlement, la fissure qui la marque, qui la signe, qui nous fait signe comme un éclair, tantôt noir, tantôt blanc, déchirant le ciel de la représentation. Ici la fêlure ne semble pas un signe annonciateur de rupture, mais apparaît plutôt comme une faille qui nous permet d’atteindre comme à l’image même. Un calme onirique, intime, une mélancolie empreinte de légèreté absorbe ces fêlures, les comprend dans l’image, sans qu’elles se manifestent comme violence.
La fêlure éclot ici sous toutes ses formes, et sous beaucoup de ses possibles. Des plus familières, comme celle de la pliure de la photo-souvenir, du souvenir dont même les replis sont chéris, jusqu’aux plus poétiques où les lignes, imparfaites, tracent par-dessus l’image un ciel d’éclairs, des fissures dans la glace de l’image, une faille dimensionnelle où peuvent affleurer des fantômes, ou simplement un miroir brisé que nous tend l’artiste.
Une image fissurée comme la surface d’une glace invisible, que seule les microfêlures rendent visible, comme si l’image se trouvait à quelques mètres plus profonds que la glace fendillée, d’où son aspect tantôt net, pris dans la glace, et tantôt imprécise, flottant dans une eau presque congelée où la vie ralentit jusqu’à osciller entre la vie et la mort. Dans cette merveilleuse profondeur d’eau glacée, liquide qui maintient dans un état transitoire, les images apparaissent et leur statut sera dès lors comme suspendu.
Il y a des images pour lesquelles on retient son souffle, parce que là on sent justement un souffle de lumière faire valser délicatement les grains de sel du visible pour composer des visions. Ces visions demeurent au cœur même de leur impermanence. Comment accepter de parler de ce qui, faisant image ne fait pas nécessairement parole, de ce qui veut donner sa place au silence du monde, des choses et des corps ?
Lucien Raphmaj, 2015
Merveilleux monde d’images à investir, à imaginer, merveilleux silence des images que nous offre Anaïs Boudot. Ce silence surprenant des images c’est aussi la vie du rêve en noir et blanc où se confond la vie aveugle du végétal, les formes belles et incompréhensibles – corps, plantes, paysages abstraits – où le visible et l’invisible se parlent.
Anaïs Boudot, née à Metz en 1984, diplômée de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie en 2010 et du studio du Fresnoy en 2013 poursuit aujourd’hui un travail autour de l’exploration des moyens photographiques. Le cœur du travail d’Anaïs Boudot consiste à explorer le processus d’apparition de l’image ; les liens entre image fixe et animée ; et les interstices créés entre temps et mouvement. Elle cherche à créer des images à la fois énigmatiques et hypnotiques, hors du temps, au plus proche de la sensation, jouant sur les concepts de présence/absence, de trouble de la perception, et de la mémoire. La série Fêlure a été produite par la Galerie Les Bains Révélateurs.