Michel Daumergue
Paysages d'Interieur
En Mars et Avril 2020, on ne pouvait que rêver de partir. Point d'autre horizon que celui offert par la fenêtre, le balcon voire le jardin. Ce n'est pas si mal, mais peu changeant. Dès lors l'imagination - et le désir de faire quelque chose de ses dix doigts - a besoin se mettre en ordre de marche. Avec peu de moyens (du papier, de la colle, de la poudre de graphite) j'ai fabriqué ce que j'ai d'abord assimilé à des épidermes. Plis, creux et bosses, sillons et cassures m'ont tout de suite renvoyé à l'idée du paysage. La photographie est alors intervenue avec ce qu'elle autorise comme illusions et traîtrises : sans échelle le petit devient grand, le centimètre kilomètre. Les ressources de la mise au point et de la profondeur de champ ont fait le reste.
Je me suis donc retrouvé devant des images d'une fausse immensité qui jouait dans ma tête comme un substitut à mon immobilité involontaire. Je pouvais m'approcher, m'éloigner, survoler ces "paysages d'intérieur" dans lesquels la frontière entre réel et imaginaire, vrai et faux, est quelque peu brouillée et qui entretient un rapport évident avec ma série "L'échelle et la limite".
La découverte se fait par déplacement et mouvement. Ici ni l'appareil photo ni le photographe ne bougent ou presque, mais le résultat parvient j'espère à transmettre l'idée d'espaces dépourvus d'autres limites que celles que nous avons dans la tête.
"Une photographie parle de choses qui n'existeraient pas sans elle".
Henry Wessel, photographe américain.
Michel Daumergue
L'Echelle et la Limite
La série que je présente ici est née d'un voyage devenu déplacement. L'Islande m'a en effet déplacé en me rendant conscient de mon corps, petit point s'agitant dans un espace démesuré dans lequel il n'était que momentanément toléré.
Quel que soit le lieu ou les circonstances la question de la photographie est toujours un peu la même, issue en tout cas de la même tension.
Il y a ce que je vois et vis d'une part et ce que je veux d'autre part. Attentif à ce que je vois, je me projette simultanément vers l'image que je voudrais obtenir. Présent et avenir. Cela pourrait s'assimiler à une sorte de fuite en avant, un déplacement du temps. Tout au long de ce voyage j'ai eu en outre la sensation d'être aspiré par le paysage, d'en apercevoir une limite pour la voir s'échapper au profit d'une autre plus lointaine ou incertaine. L'omniprésence de la terre en activité, la météo très changeante ont renforcé encore ces aspects transitoires, ces effets de passage d'un élément ou d'un état à un autre.
Mes photos tentent de restituer, dans un noir et blanc affirmé, ce qu'a été la découverte de ces paysages, désertiques souvent, inquiétants parfois.
J'ai suivi des études d'Arts plastiques qui m'ont permis de découvrir le champ des possibles dans ce domaine et j'en ai fait mon métier. Photographie et Peinture ont été les mediums que j'ai depuis lors utilisés.
Je ne privilégie aucun genre photographique. La ville, par exemple, fournit des occasions multiples dans de nombreux domaines photographiques : les architectures et leurs lignes géométriques, leurs couleurs, l'animation des rues, les murs, les personnages au gré de rencontres.
Au-delà de la vie urbaine je m'intéresse aux lieux abandonnés, usines ou anciens hôpitaux, textures et matières usées par le temps, mais également au paysage au sens large, à des photos plus abstraites …
La photo crée un objet bidimensionnel - couleurs, valeurs, matières, lignes - à partir du réel vécu. Cet objet singulier permet de transfigurer cette réalité y compris dans ses aspects les plus banals. J'aborde d'autres pratiques plus plasticiennes qui me permettent d'élargir mes recherches et de me rapprocher de ma pratique picturale.