Anna Bambou
I'll be your mirror
Témoignage de Peggy*
J’ai travaillé quelques années dans un salon de coiffure, c’était “Chez Fargo”*. C’est comme ça que j’ai connu Anna Bambou. Elle venait de temps en temps se faire coiffer et elle demandait toujours à ce que ce soit moi qui m’occupe d’elle… Je ne sais pas trop pourquoi… Elle devait être satisfaite de mon travail. J’étais plutôt flattée car c’est quelqu’un que j’admirais beaucoup, elle était toujours très belle et surtout très gentille avec moi. Souvent je faisais la fermeture du salon, et… vous allez peut-être rire, mais lorsque j’avais terminé mon travail et que tout était rangé pour le lendemain, je prenais une perruque qui ressemblait à ses cheveux, avec une jolie frange bien coupée, je me regardais alors dans le miroir, je portais ses cheveux et me demandais ce que ça pouvait faire d’être une fille comme elle, jolie, mystérieuse et un peu sauvage. Dites, vous pouvez changer mon prénom ? Je voudrais pas qu’on me reconnaisse.
*Les noms ont étés modifiés.
Anna Bambou
Je crois aux Nuits
Toi, obscurité, d’où je suis issu,
je t’aime plus que la flamme,
qui trace les frontières du monde.
Parce qu’elle luit
pour n’importe quel cercle,
hors duquel nul être ne sait rien d’elle :
Figures et flammes, bêtes et moi-même,
comme elle capture, homme, puissance
Et il se peut ceci : une force immense
bouge tout près de moi.
Je crois aux Nuits.
Rainer Maria Rilke - Toi, obscurité (1919)
On dit qu’elle est partie de chez elle au petit matin, qu’elle a rejoint la route avec nous alors que le soleil se levait à peine et venait caresser les plaines.
Elle m’est apparue dans la nuit, comme on s’éclaire d’une bougie, elle n’était pas là puis l’instant d’après... si.
Ingrid, une femme sans vertu lui a tout appris, mentir sur l’avenir dans les cartes, éconduire les hommes après la nuit...
Elle m’a dit que j’étais grand et fort, l’homme qu’elle aimait, qu’elle aimerait toute sa vie.
Elle est partie comme on éteint la lumière, parce que je lui ai demandé de s’en aller, dis que sa vie n’était pas ici, que je n’étais qu’un substitut de celui qu’elle attendait.
Elle est née dans mon obscurité, repartie dans la nuit, une lumière à la main, sur un autre chemin que le mien…
Loin du soleil de mes nuits.
Anna Bambou
Le Temps d'Aimer
Le temps d'aimer et de disparaître.
Témoignage de J. reçu par mail avec une adresse afin que l’on nous ouvre son atelier.
La première fois que je l’ai vue, c’était au bar. Elle venait récupérer une enveloppe, d’ailleurs elle venait tous les jours, ou presque, chercher cette enveloppe au comptoir et je n’ai jamais su ce qu’elle contenait.
J’ai presque tout de suite commencé à noter tout ce que je voyais d’elle pour ne pas oublier et pour mieux la connaître le jour où je trouverai le bon moment pour l’aborder.
J’ai récupéré quelques objets qu’elle abandonnait soit car ils n’avaient pas d’importance soit car elle les avait perdus. J’ai voulu les lui rendre, mais je n’ai jamais trouvé le bon moment. J’aurai tant aimé qu’elle comprenne que c’était moi, nous aurions vécu un belle histoire vous voyez. Peut-être que ce n’était pas le bon moment, c’est sûrement ça.
Dans tous les cas, elle est partie maintenant et moi aussi, sans elle. Je vous ai laissé mes carnets et ce qu’il me reste d’elle, je ne pouvais pas les emporter.
Beaucoup de gens racontent que c’est à cause de moi qu’elle a quitté la ville, mais ce n’est pas ma faute, je n’ai rien fait de mal. Je l’aimais, c’est tout. Je réparais des horloges dans ma boutique, je m’ennuyais un peu, quand elle est rentrée dans ma vie, je n’ai plus vu le temps passer.
Biographie
Anna Bambou naît en 2010 de la rencontre entre : Sabrina, photographe et réalisatrice, elle étudie la photographie argentique à l’Atelier Dominique Sudre (Lyon) et Marianne, réalisatrice, conceptrice de projet et à la gestion de la lumière, elle passe par l’école ICCOM (Paris) pour y étudier le management culturel.
Anna Bambou est représentée par la Galerie HEGOA.
Ils sont nombreux chaque année à disparaître sans laisser d’adresse, partis réinventer une autre vie ailleurs, laissant tout derrière eux.
Partant d’un fait divers réel nous avons cherché à découvrir qui était cette femme disparue un beau matin selon certains, un soir d’hiver selon d’autres.
Nous l’avons prénommée Anna Bambou, nous n’avons pas souhaité parler du fait divers en lui même mais de ce dont les “Autres” se souviennent.
Après une disparition soudaine, l’être humain se rappelle, s’interroge aussi parfois… Pourquoi la disparition ? Ce n’était pas une réponse que nous cherchions, simplement l’envie transmettre la mémoire d’une femme raconté par ceux qui l’ont croisée. Ceux qui l’ont connue de près ou de loin témoignent ici, donnant leur vision ou partageant leurs souvenirs. Nous proposons ici un travail de mémoire sur l’histoire d’Anna Bambou et la complexité des rapports humains.