Jean-Louis Bec
Morphismes Part I
La nuit est métamorphose.
Elle est naissance, mort, renaissance, une course inépuisable qui nous percute, nous inquiète, nous séduit parfois jusqu’à nous révulser.
Sinusoïde sombre, elle s’insinue, malmène, malaxe. Le ciel, les gens, les arbres, les villes, tout.
Elle joue en se jouant de tous, gomme, rajoute, dissimule, pose un éclairage neuf, montre et abolit, les apparences, les différences.
Invente.
Quand elle crée, recrée, l’ombre n’est alors plus une ombre. Le profond transparaît au grand jour, lui si transparent quand il nous habite comme il habite nos villes, quand il court sans fin dans nos artères communes, nos organismes urbains.
La nuit, nous sommes des solitudes. Apeurés, reclus, ou monstres jouissant de l’être. Monstre, et peur du monstre liés dans une même boîte noire. Nous parcourons le profond des réseaux souterrains, les miasmes et les impasses des cerveaux, têtards aux pensées pulsionnelles gavées de secrets mal gardés. Nous, la ville, embarqués hors des contrôles routiniers, dans les flux sous-jacents des angoisses et des désirs.
La nuit est mutation, déstructuration, restructuration. Une nature recomposée par des poussées nocturnes qui malmènent et confortent.
Si les photographies captent, révèlent, elles vivent aussi au gré de ces divagations qui broient, dénaturent, décousent. Au cœur de chaque image les pixels se désolidarisent, s’en vont dispersés dans la nuit, leur unité en berne prête à se retrouver, plus loin, ailleurs, différente. Le grain de l’image tient de cette réalité, le flou de cette hésitation, le contraste de cette dureté des choses toujours en voie de recomposition.
Qui sommes nous la nuit ?
Nous, nos villes, nos images, entités transformées, recréées, libérées, liées dans une même et absente logique.
La série Morphismes n'est ici que partiellement présentée. Outre un nombre supérieur de photos, elle comprend aussi vingt quatre textes courts qui prennent directement appui sur certaines images.
Jean-Louis Bec
Attiré par le jeu de la matière et du vivant, Jean-Louis Bec est biochimiste de formation.
Il a, par la suite, tenté de développer une approche personnelle de ce domaine à travers la Didactique des sciences et la Photographie à laquelle il associe souvent des textes poétiques ou de fiction.
Deux approches complémentaires sont alors développées de façon parallèle. La première Natures Cachées est une lecture sensible et intimiste de la Nature qui s'appuie sur une volonté de révéler ou d'imaginer les forces et les langages sous-jacents présents entre les éléments,
les paysages, les plantes et les animaux. L'intimité de type spirituel qu'établit parfois l'Homme avec la Nature lors de leur rencontre y est aussi considérée. La seconde Images prises aux mots s'intéresse à la ville, à ses paysages, à la place qu'y tient la Nature et à la nature du citadin qui parcourt, traverse et vit dans la ville..